À la poursuite des tourbillons de l’espace-temps.

article original publié par Science @ Nasa
auteur : Patrick L. Barry
traduction de Didier Jamet
17 NOVEMBRE 2005

Vue d’artiste du concept de distorsions dans l’espace-temps introduites par la rotation terrestre.
Vue d’artiste du concept de distorsions dans l’espace-temps introduites par la rotation terrestre.

Nasa

La sonde spatiale Gravity Probe B vient de terminer la collecte des données dont les scientifiques ont besoin pour vérifier une étrange prédiction de la théorie de la Relativité d’Einstein.

La Terre se trouve-t-elle au cÅ“ur d’un tourbillon spatio-temporel ?

Nous aurons bientôt la réponse : une expérience scientifique menée conjointement par l’université de Stanford et la Nasa, Gravity Probe B (GP-B), vient tout juste d’achever une année complète de collecte de données scientifiques en orbite terrestre. Ces résultats, qui nécessiteront encore une année complète de décryptage et d’analyse, devraient nous révéler la forme précise de l’espace-temps qui nous environne, et c’est peut-être un tourbillon.

Selon Einstein et ses théories de la relativité, le temps et l’espace constituent une seule et même trame, formant un tissu à quatre dimensions appelé " espace-temps ". La masse considérable de la planète Terre déforme ce tissu, comme vous déformez le matelas de votre lit lorsque vous marchez dessus. Pour Einstein, la gravité n’est rien d’autre que le déplacement des objets suivant les lignes courbes engendrées par cette déformation.

Si la Terre ne tournait pas sur elle-même, l’histoire s’arrêterait là. Mais elle tourne... Et cette rotation devrait à son tour plisser l’étoffe de l’espace-temps, selon la forme d’un tourbillon à quatre dimensions. C’est ce que Gravity Probe B est allée vérifier dans l’espace.

L’idée derrière cette expérience scientifique est très simple : Placez un gyroscope en rotation en orbite terrestre, l’axe de rotation pointé très précisément vers une lointaine étoile qui sert de référence. Libre de toute influence extérieure, l’axe du gyroscope devrait continuer à pointer en direction de l’étoile repère, pour l’éternité. Mais si la région de l’espace dans laquelle se trouve le gyroscope est plissée par la rotation terrestre, l’axe de rotation se mettra à osciller de façon périodique. En notant ce changement de direction par rapport à l’étoile guide, les subtiles distorsions de l’espace-temps peuvent être mesurées. Voilà pour la théorie.

Mais dans la pratique, c’est monstrueusement difficile à réaliser.

Les quatre gyroscopes de Gravity Probe B sont les sphères les plus parfaites jamais réalisées de la main de l’homme. Ces balles de ping-pong constituées de quartz et de silicium fondu mesure 3,81 centimètres de diamètre et ne s’écarte jamais de la sphère parfaite de plus de 40 couches atomiques. Pourquoi l’exigence d’une telle perfection ? Si les gyroscopes n’étaient pas aussi symétriques, leur axe de rotation se mettrait à osciller même sans distorsion de l’espace-temps.

D’après les calculs des scientifiques, les plissements de l’espace-temps dans le voisinage de la Terre devraient faire dévier l’axe des gyroscopes de 0.042 secondes d’arc sur une année. Pour fixer les idées, une seconde d’arc représente 1/3600eme de degré... Et la Lune couvre dans le ciel un diamètre apparent de 0,5 degré... Pour mesurer raisonnablement bien un angle aussi microscopique, Gravity Probe B doit atteindre la fantastique précision de 0,0005 secondes d’arc. Cela revient à être capable de mesurer l’épaisseur d’une feuille de papier présentée par la tranche à 160 kilomètres de distance...

Les scientifiques responsables de Gravity Probe B ont dû inventer la plupart des technologies nécessaires à la réalisation de cette expérience. Ils ont par exemple mis au point un satellite insensible au freinage atmosphérique capable de frôler les couches supérieures de l’atmosphère sans que les gyroscopes s’en ressentent. Ils sont également parvenus à maintenir le champ magnétique terrestre à l’extérieur de la sonde. Et ils ont même mis au point un dispositif qui permet de mesurer la variation éventuelle de l’axe de rotation du gyroscope sans contact direct avec le gyroscope.

Mettre au point l’expérience fut un défi permanent, qui a mobilisé beaucoup de temps et d’argent. Mais apparemment c’est une réussite.

" Il n’y a pas eu d’énormes surprises " au cours du déroulement de l’expérience déclare le physicien Francis Everitt, principal responsable scientifique de Gravity Probe B à l’université de Stanford. À présent que la phase de collecte de données est terminée, il confie que les scientifiques associés au projet sont " pleins d’enthousiasme, mais aussi conscients de tout le travail très minutieux qu’il reste à fournir pour dépouiller les données ".

De fait, une analyse soigneuse et détaillée des données est en cours. Elle se déroulera en trois étapes. D’abord, les chercheurs vont s’intéresser aux données quotidiennes, les analysant jour par jour, à la recherche de petites irrégularités de pointage. Puis ils prendront un peu de recul et analyseront les données sur des durées de l’ordre du mois. Enfin, c’est l’année entière qu’ils considèreront. En pratiquant de la sorte, ils devraient être à même de détecter tout problème dans les données qu’une analyse moins systématique aurait pu laisser passer.

Les enjeux sont énormes. À la fin du processus d’analyse, les scientifiques du monde entier examineront les résultats en détail. Et comme le précise Everitt, " nous voulons être nos critiques les plus impitoyables ".

Que se passera-t-il après ce long processus ? Si le tourbillon spatio-temporel est détecté dans les valeurs prédites, cela signifiera simplement qu’Einstein avait raison, une fois de plus. Mais imaginons que ce ne soit pas le cas ? Cela signifierait qu’il existe une faille dans la théorie d’Einstein, qui nous donnera peut-être accès à une nouvelle révolution en physique.

Mais n’allons pas trop vite en besogne : il reste d’abord beaucoup de données à dépouiller...

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